Le réalisateur a choisi un rythme assez lent, mélangeant avec subtilité et beaucoup de décence, l’univers gay au contexte fantastique dans lequel les personnages évoluent. Cette petite ville de la côte est l’archétype d’une petite communauté de Nouvelle-Angleterre où les familles se connaissent depuis longtemps. La famille Marsch est l’une des plus riches de la ville mais le grand-père de Russell a autrefois fait de curieux voyages dans la Pacifique et entretenu des relations avec une secte qui adore un dieu païen. Ce qui aurait pu être qu’un simple dérangement mental chez son grand-père revêt une réalité bien présente que Russell va découvrir petit à petit. Là où un Stuart Gordon – ou pire, un Ivan Zuccon – aurait placé monstres dégoulinants de sang, hybrides homme-poissons aux yeux démesurés, effets spéciaux plus ou moins réussis, Daniel Gildark travaille la lumière, peaufine l’ambiance, suggérant beaucoup plus qu’il ne montre. Seule une scène – mais quelle scène ! - laisse entrevoir des créatures cachées dans les bas-fonds de la ville éclairées brièvement par le flash d’une appareil photo. La scène est d’une intensité maximale car elle termine un crecendo d’horreurs suggérées par l’enquête que mène le héros parmi la population de la ville. Comme dans « Le Cauchemar d’Innsmouth », un vieillard alcoolique narre l’histoire de la ville et fait prendre conscience à l’héritier des Marsch de la réalité de cette malédiction. Le film se termine sous une interrogation qui laissera le spectateur dans le choix : le héros va t’il adhérer à l’Ordre de Dagon ou rester fidèle à notre monde ?
Cthulhu est réellement un film à voir en se dégageant des ornières du film fantastique classique – monstres bavants, « jump scare » pour faire hurler le public etc…- qui n’apporte rien de novateur. Avec des moyens limités, un scénario simple, un jeu d’acteur réaliste et des décors parfois très beaux, Daniel Gildark parvient à créer un réel malaise et un film lovecraftien bien plus fidèle que les tentatives gores de ses prédécesseurs.
Article de Robert Olmstead sur le film:
Cthulhu un film Cthulte
Cthulhu, réalisé en 2007 par Daniel Gildark, est aux antipodes des films “Lovecraft habituels”. Pas d'effets gore, un rythme lent, et un parti pris qui en a dérouté plus d'un, le héros étant… homosexuel. Ce détail suscita de nombreuses réactions, très bêtes, dithyrambiques ou… assez négatives il faut le dire, et entraîna aussi un malentendu qui a nuit à la réputation et à la diffusion du film en salle, en France notamment?
Le héros du film est gay car, il est …gay point final. C'est à partir de ce point que ce réalise l'histoire et que le “pitch” interviens (il ne peut avoir de descendance). Ce n'est pas un film pro gay comme j'ai pu l'écrire dans ma première critique même si il est distribué et coproduit par Here Films spécialisé dans le genre gay, lesbien et bissexuel. C'est aussi un film fantastique indépendant la maison de production Regent Releasing étant spécialisée quand à elle dans ce type de cinéma. Une simple visite sur les sites des deux producteurs aurait permis peut être de regarder le film avec un esprit plus ouvert et se concentrer sur les qualités filmiques de l'œuvre et les intentions premières des auteurs par rapport à la nouvelle originale et qui fait selon moi l'originalité , et qui se rapproche plus du film intimiste dans une optique fantastique ou la condition gay du héros va influer sur le cours des événements.
L'histoire
Un professeur d'histoire, gay et vivant à Seattle retrouve sa famille sur la côte de l'Oregon à…Rivermouth, dont il est séparé depuis des années afin de remplir les dernières volontés de sa mère morte depuis peu. Il en était parti car en désaccord avec son père, devenu grand prêtre d'une secte locale new age et apocalyptique qui réprouve son homosexualité et aimerait lui passer le flambeau au sein de la secte. Elle lui a laissé une cassette vidéo lui annonçant qu'une malédiction pèse sur toute la lignée mâle de la famille, ces derniers mourant jeunes et disparaissant le 1er mai et cette date approche…
Dans une note Dan Gildark parle de la thématique principale du film :
“Ce vers quoi Grant [le scénariste n.d.t] se tourna vers était un livre qu'il avait lu lors d'un voyage à travers le pays quelques années auparavant: les œuvres complètes de H.P. Lovecraft. Les sentiments que nous avions aujourd'hui ont été les mêmes que ceux qu'il avait connu pendant la lecture de ces histoires; l'idée qu'il y a des force à l'œuvre dans cet univers bien au-delà de notre contrôle et de notre compréhension. Nous avons su, que faire un film à partir de ce matériau, aurait été une histoire ou tout le monde pouvait s'identifier. L'histoire qui nous a sauté aux yeux était le “Cauchemar d'Innsmouth”, une histoire de retour à la maison et qui reflétait l'expérience de beaucoup de nos amis qui étaient gays ou artistes, ou les deux, et qui avaient quittés la maison dès qu'ils le pouvaient. Ne collant pas avec leur environnement, ils avaient fuis vers les grandes villes et trouvèrent des gens partageant les mêmes idées et ont formés de nouvelles familles et des alliances. Finalement, ils ont été rappelés à la maison quand quelqu'un dans la famille était mort, marié ou tombé malade et ils ont du retourner vers tout ce qu'ils avaient, à leur avis, laissés derrière eux. Pour Lovecraft la chose la plus terrifiante imaginable était l'inévitable horreur de l'hérédité - de ne pas pouvoir échapper à qui vous êtes et à ce qui est dans votre sang. Donc, ce film se déroule dans un monde sur le point de se désagréger; la vraie terreur découlant de ne pas avoir le contrôle sur qui nous sommes vraiment (…) le film à sa base reste “encore” une histoire d'un retour à la maison.
Maudite hérédité
Les thèmes Lovecraftiens de l'histoire sont ainsi habilement transposés à notre époque et le film développe cet aspect de la malédiction de l'hérédité, ici une hérédité non pas pathologique ou génétique mais sociale: la pression familiale et communautaire sur un de ces membres réprouvé car homosexuel qui perds une fois de plus ses repaires dans une ville et une vie ou il n'en n'avait franchement pas. Pas d'allusion à une (prétendue) homosexualité latente de Lovecraft ou une vengeance envers l'auteur qui ne portait pas la communauté gay dans son cœur (entres autres communautés) comme j'ai pu le lire, mais une habile déviation sur ce thème du retour et de la malédiction héréditaire traité d'une façon…. moderne tout en gardant la trame de la nouvelle. Cthulhu donc n'est pas une adaptation fidèle du Cauchemar d'Innsmouth on l'aura compris.
Independant gays
Qui dit production indépendante dit peu de moyens mais Gildark s'en tire haut la main grâce à un scénario intelligent, une caméra alerte, un rythme lent qui sert le film, un très bon casting (Jason Cottle entre autre qui joue à merveille le rôle de ce professeur dont la vie bascule vers l'horreur et Torri Spelling en guest star surprise. Plutôt habituée aux séries pour ados, elle fut décriée là aussi dans ce film, et ce très bêtement, car elle tient parfaitement son personnage), une photo irréprochable et surtout le choix de la ville de Rivermouth, en fait la ville d'Astoria, dans l'Oregon, sur la côte nord ouest des États-Unis, et donc à l'opposé de l'endroit ou est censé se passer la nouvelle (Newburyport est dans le Massachusetts et sur la cote nord est du pays). Un choix plus qu'intelligent car l'atmosphère, les décors naturel de la ville, le Pacifique aux vagues démontées, sont pour beaucoup dans la réussite de film. Astoria est vraiment Innsmouth.
Conclusion
La tension de l'hsitoire monte crescendo et Gildark grâce a tout ce que nous avons pu dire précédemment nous amène vers la conclusion sombre du film, fidèle à la nouvelle. Les scènes de cauchemars sont particulièrement réussies comme celle de la découverte par le héros des “œufs” de profonds, la rencontre avec le vieux Zadok ou encore la scène de l'appartement avec le petit garçon qu'un David Lynch n'aurait pas reniée. Pour ma part rien à jeter dans Cthulhu qui, transmet à merveille l'atmosphère de la nouvelle tout en abordant des thématiques modernes sur la difficulté d'être soi, et l'impossibilité d'avoir le contrôle sur quoi que ce soit ce monde moderne en roue libre qui se déchire et nous entraîne vers les abysses.
En ce sens Cthulhu reste, est, un film Lovecraftien.
On en a parlé sur le forum ici:
http://forum.hplovecraft.eu/viewtopic.php?id=470&p=1
Plusieurs critiques du film ici:
http://www.senscritique.com/film/Cthulhu/454391
Autre avis intéressant ici:
http://cinedev.blogspot.be/2012/02/cthulhu-de-daniel-gildark.html