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The Call of Cthulhu

Par Shinji

Introduction

Bien des personnes ont été tenté par l'adaptation au cinéma de l'oeuvre de Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), mais peu ont réussi à obtenir un résultat convainquant, en tout cas fidèle à l'un des pères fondateurs du fantastique moderne. Les productions Corman des années 1960 paraissent aujourd'hui bien kitsch, et sans compter les téléfilms fauchés, il s'agit bien souvent plus d'inspiration que d'adaptation à proprement parler : malgré les titres de films de Stuart Gordon - Re-animator (1985), From Beyond (1986), Dagon (2001) -, seuls des éléments d'origine sont repris pour offrir un spectacle gore, tout comme chez John Carpenter avec The Thing (1982) et L'Antre de la Folie (1995) qui portent la trace de l'écrivain. De quoi faire pâlir l'homme de Providence. Reste le film à sketches Necronomicon (1994), réalisation honnête ressortie de l'ombre après le succès de Christophe Gans. Ce n'est que récemment qu'une équipe de mordus a retroussé ses manches pour adapter L'Appel de Cthulhu, l'une des nouvelles les plus connues de Lovecraft écrite en 1926, et obtenir le meilleur résultat possible en utilisant le style des vieux films muets. C'est ainsi qu'a (enfin) pris vie à l'écran le mythe de Cthulhu en 2005 dans The Call of Cthulhu, scénarisé par Sean Branney et réalisé par Andrew Leman. Des fanatiques débusqués dans les marais de Louisiane à l'abomination qui se tapit sous R'lyeh, tout est fait pour que pendant 47 minutes on ait l'impression de se retrouver devant un film muet d'époque, que ce soit avec les écrans-titres, le jeu des acteurs ou le vieillissement de l'image. Ou comment détourner un handicap - les contraintes budgétaires - en avantage.

Bande-annonce

Interview de Sean Branney et Andrew Leman

Shinji - Tout d'abord, merci de répondre à cette interview. Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaissent pas encore ?

Sean Branney - Andrew Leman et moi, nous sommes des amis de longue date et nous avons fondé ensemble la H.P. Lovecraft Historical Society. Nous étions tous les deux fans de Lovecraft, et nous avons créé notre propre jeu de rôle en actions réelles, Cthulhu Lives. Nous avons tous les deux un passé dans le théâtre. J'ai moi-même une compagnie de théâtre à Los Angeles, mais en ce moment je passe une grande partie de mon temps pour la HPLHS. Nous avons collaboré sur de nombreux projets, comme des jeux, des CDs, des livres, des scénarii et des films.

Andrew Leman - Je m'appelle Andrew Leman. J'ai été avec Sean Branney et Darrell Tutchton l'un des fondateurs de la “H.P. Lovecraft Historical Society”, et j'en suis toujours l'un des responsables. J'ai écrit et dirigé de nombreuses parties de Cthulhu Lives, et avec Sean j'ai écrit, produit et/ou dirigé divers projets autour de Lovecraft. Quand je ne travaille pas là-dessus, je crée des polices de caractères, à l'occasion je suis acteur professionnel, et j'ai autrefois travaillé au Musée d'Histoire Naturelle de Chicago.

S - The Call of Cthulhu a été fait à la manière du “do it yourself”, mais avec des professionnels. Est-ce correct ?

SB - La plupart des personnes impliquées dans The Call of Cthulhu sont des professionnels dans leur domaine. Nous avons eu la chance d'être leurs amis, et qu'ils acceptent de travailler sur un projet à si faible budget. Nous avons procédé au “do it yourself” à de nombreux stades de la production. Nous sommes très satisfaits du résultat, malgré les limites dans le processus de création de notre film.

AL - Presque tous ceux qui ont été impliqués dans la création de The Call of Cthulhu ont une expérience professionnelle dans les films et/ou le théâtre. Plusieurs de nos acteurs sont déjà apparus dans des films et à la télévision, ainsi que dans plusieurs pièces de théâtre. Sean et moi sommes tous les deux diplômés dans le théâtre avec plusieurs années d'expérience professionnelle derrière nous. En même temps, aucun de nous n'avait jamais travaillé avant sur un vieux film muet, et nous avons utilisé des techniques qui étaient nouvelles pour la plupart d'entre nous. Je pense que tous ceux qui ont été impliqués ont appris de nouvelles choses ou acquis une nouvelle expérience.

S - Quels ont été vos choix pour représenter l'univers de Lovecraft ? Etes-vous parvenus à accomplir ce que vous aviez prévu ?

SB - Dans les histoires de Lovecraft, les personnages sont rarement marquants. Il y a peu de relations et très peu de dialogues. Les personnages ont souvent tendance à être insignifiants dans l'histoire en elle-même. Nous avons pensé qu'il était important de ne pas introduire d'éléments extérieurs (comme une petite amie, un méchant, etc.) qui ne correspondraient pas aux écrits de Lovecraft. D'un point de vue visuel, nous avons voulu rendre le film historiquement fidèle à l'époque où Lovecraft a vécu.

AL - Nos principaux choix ont été d'être aussi fidèles que possible aux descriptions de Lovecraft et à son époque, en tenant compte des limites que nous imposaient nos faibles moyens. Nous avons essayé de capturer l'esthétique des années 1920 en ce qui concerne l'éclairage, la composition, les mouvements de caméra et le jeu d'acteur. Nous avons utilisé au maximum les accessoires et les costumes de l'époque, et nous avons travaillé dur pour éviter tout élément anachronique. Nous avons tourné en extérieur à l'immeuble Fleur de Lys, à Providence, un vrai bâtiment que Lovecraft mentionne dans l'histoire. Pour les scènes des marais, de R'lyeh et de rêve, nous nous sommes inspirés du travail des artistes préférés de Lovecraft, ainsi que d'autres peintres qui ont vécu et oeuvré dans les années 1920, comme Lyonel Feininger et M.C. Escher. Pour les plans en extérieur, certains d'entre eux sont des films d'époque, dont la plupart montrent les endroits qu'ils sont censés représenter. Et même l'écriture à la main du plan final est une réplique de la propre écriture de Lovecraft. En tenant compte de nos ressources limitées, je pense donc que nous avons représenté le monde de Lovecraft du mieux que nous pouvions.

S - Le procédé “Mythoscope” est une idée ingénieuse ! Quelle en est l'origine ? Avez-vous visionné beaucoup de films muets, et avez-vous trouvé un modèle ?

SB - Quand nous étions en train de discuter de la manière de réaliser The Call of Cthulhu, nous avons vu un superbe court-métrage filmé dans un style rétro. Cela nous a amenés à considérer les avantages de tourner le film comme s'il était fait dans les années 1920. Andrew et David Robertson, notre caméraman, ont beaucoup travaillé pour capturer le style visuel de nombreux films muets connus.

AL - Nous avons observé beaucoup de films muets, comme Metropolis, Nosferatu, The Cabinet of Dr. Caligari, Faust, The Thief of Baghdad, The Phantom of the Opera, Sunrise, Destiny, et bien d'autres. Comme nous avons trouvé des idées dans chacun d'entre eux, nous n'avons pas un modèle en particulier. David Robertson, notre brillant caméraman et monteur, a développé une formule personnalisée pour donner à notre image vidéo en couleur l'apparence d'un vieux film en noir et blanc, en combinaisant un bon éclairage, un remplacement des couleurs, des superpositions et des filtres.

S - Combien de temps et d'argent a nécessité The Call of Cthulhu ? Avez-vous rencontré des problèmes lors de ce projet ?

SB - Cela nous a demandé environ 18 mois et à peu près 50 000 $. Il y a eu des challenges tout le temps, mais rien d'impossible à surmonter. Se procurer une authentique traction avant s'est révélé difficile, mais nous sommes parvenus à en emprunter une. Nous avons dû virer notre compositeur vers la fin du projet car il n'avait pas assez écrit de musique, donc cela n'a pas été évident. C'était éprouvant de travailler avec autant de personnes, dans de nombreux endroits et sur une période si longue. Par chance, les acteurs et l'équipe sont des personnes adorables, et ils ont rendu les choses aussi agréables que possible.

AL - Nous avons passé environ 18 mois sur le film. Nous n'avons pas constitué de budget officiel ou tenu une comptabilité exacte de nos dépenses, mais nous avons dû dépenser en tout quelque chose comme 50 000 $. Au sujet des difficultés rencontrées, il y en a eu un certain nombre. Les répétitions et la recherche de lieux de tournage se sont révélées difficiles. La construction des plateaux ont demandé beaucoup de temps et d'ouvrage. En fait, très peu de choses ont été faciles sur ce projet.

S - N'avez-vous pas eu d'appréhension vis-à-vis de la réaction des fans ? Quel est l'avis général maintenant que le film est terminé ?

SB - Nous avons réalisé le film de la manière que nous pensions être la bonne, et nous espérions que le résultat serait apprécié. Nous avons été agréablement surpris que le film soit si bien accueilli par les fans de Lovecraft, de films muets, et les mordus de cinéma du monde entier. Nous avons aussi été ravis que les festivals de cinéma internationaux aient montré de l'intérêt pour le film, qui a été projeté un peu partout aux USA et dans de nombreux autres pays. Il a récemment gagné le “Jameson Audience Choice Award” au Århus Festival of Independent Arts, au Danemark.

AL - Nous étions assez confiants dans le fait que les fans de Lovecraft apprécieraient le film, car étant fans nous-mêmes, nous savions que c'était le genre de film qui était attendu depuis longtemps. Le film a d'ailleurs été mieux accueilli que nous ne le pensions, et nous sommes extrêmement heureux qu'il soit autant apprécié.

S - Avez-vous des regrets, changeriez-vous quelque chose dans le film ?

SB - Il y a une ou deux choses que nous aurions faites différemment si nous avions eu plus de temps et d'argent. Pour ma part, j'aurais aimé filmer d'une autre façon les combats dans les marais. J'aurais bien ajouté aussi un plan de plus quand le bateau fonce sur Cthulhu. C'est difficile d'être satisfait à 100% en tant que réalisateur, mais nous sommes très contents du film tel qu'il est.

AL - Personnellement, je n'ai pas de regret, même s'il y a quelques choses que je referais différemment si j'en avais l'occasion. Et si nous avions eu un vrai budget de film, je sais qu'il y a des choses que nous aurions aimé améliorer : un vrai bateau par exemple, et un meilleur décor grandeur nature de R'lyeh.

S - John Carpenter et Stuart Gordon sont connus pour leurs hommages à Lovecraft ; en Corée, The Host vient de sortir. Pensez-vous qu'une adaptation à la fois moderne et fidèle est possible ?

SB - Je pense que c'est tout à fait possible. Cela nécessite seulement quelqu'un qui tente vraiment d'être à la fois moderne et fidèle. Et le plus difficile reste de convaincre quelqu'un d'autre d'investir dans un tel film.

AL - Je pense que c'est tout à fait possible, mais cela ne doit pas être mené à la légère. De toute façon, une adaptation est toujours difficile pour obtenir un bon résultat.

S - Avez-vous des projets de documentaires ?

SB - Nous avons fait une parodie il y a quelques années, A Shoggoth on the Roof. Plus récemment, Andrew est apparu dans le documentaire The Eldritch Influence. Il nous reste encore à réaliser notre propre documentaire.

AL - Nous n'avons pas fait de documentaire sur le monde de Lovecraft, mais nous avons pas mal de contenu sur notre site Internet sur l'histoire des années 1920 et 1930, ainsi que des articles de notre vieux journal Strange Eons, qui traite de divers aspects de la fiction de Lovecraft et de ses dérivés.

S - En France, beaucoup d'études et de livres ont été publiés autour de Lovecraft depuis le début des années 1970. Tous les sous-titres disponibles sur le DVD signifient-ils qu'il y a une grande demande de par le monde pour Lovecraft ?

SB - La communauté autour de Lovecraft s'étend au niveau mondial. Notre site Internet est visité par énormément de personnes d'Europe, d'Australie, de Nouvelle-Zélande, d'Amérique du Nord et d'Amérique du Sud. Il y en a aussi d'Asie, du Moyent-Orient et d'Afrique, mais moins voire très peu. Près de la moitié des DVDs de The Call of Cthulhu ont été expédiés à l'extérieur des USA. Le fait d'avoir tous ces sous-titres rend le film accessible à un plus large public.

AL - Lovecraft a des fans dans le monde entier. Nous avons trouvé un intérêt particulièrement grand en Scandinavie, mais il est aussi très apprécié en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne et ailleurs.

S - Enfin, quel est votre avis sur le fait que beaucoup de personnes pensent encore que le Necronomicon existe vraiment ? Je trouve ça surprenant.

SB - Même si Lovecraft a créé le Necronomicon, je pense que sa véracité provient du fait qu'il existe des livres similaires. Les ouvrages occultes, en particulier de la Renaissance, sont très étranges, très difficiles à lire. Ce qui est fort d'après moi avec le Necronomicon, c'est que même s'il n'existe pas, il semble tout de même réel.

AL - Parfois, plus un mensonge est gros, plus les gens y croient. La création du Necronomicon par Lovecraft ne correspond pas vraiment à un mensonge, mais elle a été très bien amplifiée pendant très longtemps par de nombreuses personnes. Qu'un tel livre existe est une idée séduisante, et il ne fait aucun doute que beaucoup préfèrent croire qu'il est vrai plutôt que Lovecraft l'a inventé.

S - Merci beaucoup ! Un dernier mot ?

SB - Nous apprécions l'intérêt que vous montrez pour ce que nous avons fait, et merci de parler à vos lecteurs de notre projet particulier.

© Shinji - Première publication : Eclipshead

culturepopulaire/filmcallofcthulhu.txt · Dernière modification: 2021/05/09 18:42 (modification externe)