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H.P. Lovecraft, le dieu silencieux

2012, par Didier Hendrickx, éd. L'Age d'Homme.


Par KADATH

Grandeur de la décadence

Enfin un auteur qui ne se croit pas obligé d'attaquer Lovecraft et reconnaît sa lucidité devant les phénomènes de déliquescence qui frappent l'Occident !

Composé de 170 pages et terminé par une bibliographie qui date un peu et aurait pu être plus importante, cette étude est en fait un travail universitaire réalisé en 1986 et qui, selon les dires de son auteur, “n'a pas pris une ride”. C'est partiellement vrai en ce qui concerne l'oeuvre de HPL mais depuis lors pas mal de gens se sont penchés - avec plus ou moins de bonheur il faut le reconnaître - sur la personnalité de Lovecraft.

Didier Hendrickx insiste sur l'impossibilité pour Lovecraft de s'habituer aux années 20 et 30 à la société américaine et souligne tout au long des chapitres les preuves de cette inadaptation à travers les textes. La plus grande partie du livre est une énumération de citations et d'extraits des nouvelles pour illustrer tel ou tel trait de caractère de l'auteur ; cet aspect un peu scolaire peut paraître pesant et répétitif pour le lecteur habitué à l'univers de la mythologie du cycle de Cthulhu mais l'excellente analyse du biographe attire l'attention entre la situation actuelle de notre société et les prémices de cette “décadence” à travers l'oeuvre de Lovecraft : “l'impossibilité de communiquer et la destruction du monde et de l'homme ancien, loin d'être une lubie momentanée d'aristocrate suranné ou de prophète de la décadence, sont deux caractéristiques majeures de ce stade de la civilisation occidentale. La première, conséquence de l'individualisme extrême, participe à la deuxième, effacement méthodique de tous les fondements d'une société organique et enracinée”.

Ou encore : le livre-objet trône dans les listes des meilleures ventes, triomphe éphémère soumis aux lois du marché. Les oeuvres fantastiques et leurs mythes déchus participent pleinement à l'acculturation régnante. […] Conformisme moral et politiquement correct s'insinuent même jusque dans les ruines des civilisations disparues. Le plus obscur nécromant se targue d'être tolérant et citoyen !

J'ai “dévoré” les 60 premières pages en un rien de temps… Cet essai est brillant et dérangeant pour les intellectuels soumis au diktat du prêt-à-penser actuel ! Même si son auteur ne jouit pas de la célébrité d’un Michel Houellebecq, il est certain que ce livre ne passera pas inaperçu ! Personnellement, je conseille l'achat sans réserve.

Plusieurs analyses du livre

Interview

KADATH - J'ai souligné une bonne vingtaine de passages au crayon tant vos remarques sont pertinentes et montrent l’excellence de votre analyse de l'oeuvre de HPL.

Didier Hendrickx - Un aspect central de l'essai est la dégradation des structures mythiques dans les récits lovecraftiens et l'impossiblité de communiquer. Outre cet angle d'attaque particulier, j'insiste aussi sur l'actualité et la modernité du Maître. Ceci dit, l'oeuvre est tellement riche qu'il me faudrait deux vies pour l'analyser. Je compte bien tenter le coup durant mon existence présente et lors d'une prochaine réincarnation !

K - Qu’est ce qui vous a donné l’envie d’écrire ce mémoire puis ensuite de passer au monde de l’édition ?

DH - La base de l'ouvrage est effectivement tirée d'un mémoire universitaire que j'ai rédigé en 1986 mais j'ai procédé à de très nombreuses adaptations en fonction de lectures ultérieures. J'ai découvert Lovecraft à 14 ans et je n'ai cessé depuis de le lire et le relire. Lorsque j'ai dû choisir un thème de mémoire de fin d'études universitaires, Howard s'est aussitôt imposé. D'autant plus que la thématique de la communication était omniprésente dans l'oeuvre et que la conception qu'il en avait découlait de sa philosophie : impossibilité apparente de communiquer, solitude effarante face à ce qui est radicalement autre ou dépasse…

K - Quel rôle a joué Lovecraft dans votre vie intellectuelle ?

DH - Sans Lovecraft, je serais bien différent. C'est par son biais que j'ai découvert la littérature fantastique mais surtout la littérature tout court, la philosophie, l'histoire ! Et une première ébauche de conception du monde qui s'est ensuite affinée à la lecture de Nietszche notamment.

K - Ecrivez-vous des nouvelles fantastiques ?

Je n'ai cessé d'écrire. Non seulement professionnellement mais aussi bien sûr par plaisir et besoin. Je me suis essayé à imiter Lovecraft comme 95% de ses lecteurs. Mais je me suis très vite rendu compte que sans l'expérience de la vie, l'écriture est creuse, sans épaisseur. J'ai donc reporté pas mal de projets d'écriture et ce n'est finalement que ces dix dernières années où j'ai rédigé de nombreux textes qui paraîtront à l'Age d'Homme : récits biographiques et imaginaires, roman de science-fiction…

K - Avez-vous déjà découvert des réactions à votre livre ?

DH - J'ai déjà reçu pas mal de belles réactions lors de la Foire du Livre de Bruxelles de la part d'écrivains, sur des blogs… Mais la diffusion du livre commence véritablement. Comme dirait mon éditeur, c'est un livre de fond qui intéressera encore dans dix ans. C'est ce que je lui souhaite.