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Bon, je me lance :

"Saloperie d'éclairage défaillant ! J'avais quelques grammes dans le sang et cette lumière faiblarde m'empêchait de trouver le serrure de la portière... Fichue bagnole, fichue journée ! Après quelques efforts vains, je cessais toute tentative grotesque et maugréais contre l'absence de télécommande sur ma vieille 4L... Une voiture aussi ancienne que... ce parking ? M'étant adossé contre la carosserie et soufflant dans mes mains pour les réchauffer, je me rendis compte que l'endroit m'était familier mais j'ignorais pour quelle raison. Peut-être m'y étais-je déjà garé il y a longtemps, sûrement en journée... Ce grand espace, quelques véhicules disséminés, du gravier au sol, des arbres en périphérie, quelques lampadaires miséreux et le son lointain de la ville - cet endroit semblait étonnamment isolé. Laissant le froid chasser l'alcool, je m'apprêtais à retenter plus sereinement à ouvrir ma portière quand un bruit de pas suivi d'une voix attira mon attention.
- Monsieur ?
Je sentais que celà n'allait pas me plaire... Je me retournais. Un type barbu surgi de nulle part s'avançait vers moi. Ses gestes étaient saccadés et excités.
- J'ai besoin d'argent, me balança-t-il, je peux vendre ce que vous voulez...
- Je ne veux rien.
Je m'apprêtais à lui sortir un billet de dix euros pour qu'il me laisse en paix.
- Je peux vous vendre un poumon, un rein, ce que vous voulez... C'est tout ce que j'ai !
Quel cinglé ! Je me retournais vers ma voiture, décidé à me tirer d'ici le plus vite possible. L'agité du bocal s'approcha de moi, tapant sur le toit de la 4L...
- Il me refuse le droit de passage ! Parce que j'ai fauté... Je n'ai plus que mes organes, ils ne me servent plus ! Achetez m'en un ! Je vous en prie ! Je sais pourquoi vous êtes là, ça ne change rien pour vous...
Je me retournais vers le type et l'attrapais brutalement par le col !
- Ecoutez-moi, je sais pourquoi je suis là et je ne veux pas acheter un organe ! C'est clair ? Trouvez un autre débile dans votre genre pour votre plan foireux !
Son regard s'illumina un instant, il sourit.
- Pourquoi êtes-vous là ? demande-t-il plus calmement.
- Parce que...
Un blanc. Un putain de blanc. Un trou dans mes souvenirs. Pourquoi étais-je garé ici ? J'avais bu, mais où, pourquoi ? L'alcool avait ratatiné mon cerveau...
- Lâchez-le !
C'était une voix de femme. Forte, autoritaire. Le barbu devint blême et se débattit. Je le lâchais. Il s'éloigna de quelques pas, la peur sur son visage.
Décidément, ce parking n'étais pas aussi désert que je le pensais. Et la faune qui y zonait n'avait rien d'habituel... La femme, une beauté anonyme au visage blanc et aux cheveux d'un noir profond, semblait sorti d'un rêve, une de ces vision que l'on ne retrouve que dans notre inconscient.
- Va-t-en Igor, lança-t-elle sèchement au barbu. Tu connais ta peine, laisse-nous tranquille.
- Vous le connaissez ?
J'étais subjugué par sa beauté et sa grâce. C'était si étrange de la voir, ici dans cet endroit...
- Oui. Il rôde pour essayer de racheter son péché et trouver de quoi payer le passeur...
- Quel passeur ? Et quelle idée de vendre ses organes !
Elle me prit la main. Sa peau était froide et lisse comme du marbre. Etrange sensation.
- Oubliez Igor. Quant au passeur, je vous conduis à lui. Je suis sa messagère...
- Sa ?...
Je me dégageais de sa main, interloqué. Elle était aussi cinglée que le barbu, finalement. Quel passeur ? Elle lut probablement mon doute dans ma réaction. Souriant avec beaucoup de douceur, elle ajouta :
- Vos souvenirs vont vous revenir. Le choc post-traumatique les a brouillé durant un temps. Vous vous souviendrez bientôt que vous êtes... mort ici, il y a longtemps. Maintenant, il faut me suivre, le passeur Charon nous attend...
Mort il y a longtemps ? MORT ! Ce n'était pas possible, ce n'était qu'une fichue journée de plus... La jeune femme sourit. Et je commençais à me rappeler... Oui, il y a longtemps, sur ce parking, quelque chose d'horrible s'était produit, chargé d'alcool et de stupidité..."