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Le céleste noir : de l'abîme, la lumière

Par KADATH, juillet 2008

Un album lovecraftien

Si l’auteur préfère parler de “variation sur la base de concepts voisins”, il n’empêche que le dos de l’album annonce : “Créatures antédiluviennes et chaotiques, les Dieux Anciens se déchiraient autrefois le monde. Malgré leur toute-puissance, ils furent vaincus et exilés sur un autre plan d’existence.” Cette citation est très proche de celle que Lovecraft utilise dans plusieurs de ses textes où il évoque la genèse des Grands Anciens. Si l’on précise que le centre du scénario de ce premier tome tourne autour d’un livre maudit, l'Ex Abisso Lumen, frère du Necronomicon et autre Unaussprechlichen Kulten, on aura compris que cette bande dessinée peut être facilement reliée au Mythe créé par Lovecraft.

Résumé

Ramsey Ligorn, sorcier ayant étudié les arcanes des savoirs perdus, est interné dans un asile psychiatrique à la suite d’une expérience qui a mal tourné. Lönson, dit le Céleste Noir, son ennemi juré, l’enlève grâce à ses pouvoirs. Ce dernier, messager des Anciens Dieux, veut prévenir l'humanité que ses maîtres se préparent à reconquérir la Terre. Au même moment, le professeur Lindsay Eggart, belle jeune femme spécialisée dans l’étude des textes anciens, aidée d’un groupe de chercheurs de la bibliothèque de New York, tente de traduire les pages d’un grimoire mythique aux pouvoirs surnaturels, mystérieusement ressurgi du passé, l'Ex Abisso Lumen. Ce livre a un pouvoir particulier : les caractères qui forment ses pages se réorganisent toutes les dix secondes et donc le livre n’est jamais pareil d’un instant à l’autre !

Ramsey Ligorn se réveille prisonnier de Lönson et d’une jolie dame qui s’avère être la femme du sorcier. De toute évidence, Lönson compte l’utiliser pour contrecarrer le projet des dieux. Lindsay Eggart de retour chez elle, continue son travail de déchiffrement du grimoire lorsque Lönson lui annonce qu’il l’aidera à comprendre le sens des textes anciens que contient l'Ex Abisso Lumen ! Alors qu’une secte utilise les mots sacrés du livre pour offrir en sacrifice des personnes aux dieux, Eggart se rend dans un institut ultra-secret protégé par l’armée : c’est là que des scientifiques et des historiens se penchent sur le livre maudit. Mais même dans cette base protégée par des moyens sophistiqués et par des formules de sorcellerie, Lönson parvient à pénétrer et offre à Lindsay Eggart de figer les mots de l’Ex Abisso Lumen et de l’aider dans le combat qui attend le genre humain face aux Anciens Dieux. Mais il est temps d’agir car le premier album se termine par l’apparition d’êtres malfaisants, séides des Anciens Dieux qui utilisent les formules magiques pour frapper au coeur de notre société…

Analyse critique

Comme l’histoire complète sera composée de trois tomes, on ne peut juger actuellement que le début – qui s’annonce prometteur – de cette intrigue de lutte entre le genre humain et les dieux. Cordurié a eu l’excellente idée de reprendre le principe du grimoire maudit, source de connaissance mais aussi de terreur. Excellente aussi la façon de traiter le sujet avec des personnages modernes : un sorcier messager des dieux, sorte de Nyarlathotep revu en 2008, et une jeune femme dynamique - Lindsay Eggart - qui a du mal à concilier sa vie de famille et ses activités professionnelles de traductrice. La narration est enlevée, alerte, passe d'un événement à l'autre comme autant de pièces d'un puzzle s'assemblant au fil des pages pour donner, à la fin, un ensemble saisissant bien qu’un peu compliqué.

En ce qui concerne le dessin, Laci, dessinateur d’origine serbe, réalise en collaboration avec le coloriste Axel Gonzalbo un travail assez intéressant. Le trait est sûr, les personnages bien typés dans des décors très imaginatifs. Plusieurs planches sont monochromes pour marquer des flashback mais l’ensemble garde une structure de cadres très traditionnelle, agrémentée de temps en temps par des dessins allongés sur toute la largueur de la page. On trouve plusieurs planches d’ambiance, telle l’apparition de Lönson dans l’asile psychiatrique, un soir d’orage au ciel zébré d’éclairs comme il se doit.

Côté critique, on regrettera des visages aux expressions un peu figées manquant de réelle personnalité. Le Céleste Noir est une bande dessinée de lecture aisée, sans recherche graphique particulière où manque évidemment cette magie des clairs-obscurs et les incertitudes d’un Alberto Breccia, les terreurs d’un Lalia ou la force surréaliste d’un Enrique Breccia. La lumière des planches est parfois trop “dure” pour que le dessin puisse distiller cette dose d’angoisse qui caractérise les grandes références en la matière. La technique narrative serait aussi allégée si plusieurs scènes n’étaient présentée en même temps - technique souvent utilisé dans les séries télé comme la toujours confuse Lost - rendant l’histoire un peu absconse…

Conlusion

En résumé, une bande dessinée qui renouvelle le genre et nous donne une adaptation des mythes de Lovecraft moderne et globalement agréable à suivre. Les deux prochains tomes seront-ils aussi bons ?

Epilogue malheureux d'un bon projet

En guise de réponse, on apprenait en septembre 2009 sur le site BDGEST, sous la signature de Sylvain Cordurié même que: “Il n'y aura hélas pas de tome 2.:-/ Ce n'est pas le fait de ma décision. J'aurais aimé bouclé la trame principale, mais on m'a demandé de terminer la série au tome 2, ce qui était impossible, sauf à massacrer mon propre travail. Les raisons de l'arrêt de la série sont plurielles. Ce ne serait pas très honnête à moi de donner ma version ici. Elle est fatalement orientée… Disons juste que j'étais et reste en désaccord avec la décision éditoriale de l'époque, mais je peux la comprendre. Elle n'était pas illégitime. D'un autre côté, j'aurais vraiment aimé que les choses se passent différemment…”

Encore une série inachevée à enterrer dans le cimetière - déjà bien occupé - du 9° art… :-(