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Reanimator

Critique

Sturart Gordon avait adapté cette nouvelle de manière très ouverte dans son film Re-Animator, un essai gore noyé dans l'humour grotesque et la farce sanglante, un film culte du cinéma bien bien loin des interrogations de Lovecraft. Florent Calvez décide de revenir à l'essence et à la noirceur du texte original pour nous livrer une oeuvre très respectueuse du matériau d'origine.

Aux crayons et pour la première fois au scénario, Calvez s'est lancé dans un projet difficile mais finalement réussi et globalement convaincant. Le choix de la nouvelle est original pour être souligné puisque ce texte est un peu casse-gueule à adapter, et la comparaison avec le film est inévitable, mais heureuement on se laisse facilement emporter dans la folie d'Herbert West. Le choix narratif s'est porté sur une transcription en forme de cases des textes. Peu de dialogues mais celà n'empêche pas la compréhension, le suspense et augmente même la tension à travers le jeu de placement des cases. Le style graphique faussement brouillon mais en traits vifs, traversés d'un camaïeu de bruns, rend à merveille l'ambiance inquiétante chère à Lovecraft. Les horreurs physiques ne sont guère visibles mais suggérées par de belles superpositions de valeurs, des mélanges audacieux de hachures, de traits et de textures épaisses. L'ensemble aurait peut-être gagné à l'adjonction de quelques couleurs plus claires et marquantes.

Reanimator est au final une oeuvre ambitieuse, soignée, le travail d'un lecteur de Lovecraft respectueux qui s'annonce comme une bonne introduction à l'univers de Maître par l'image. Le renouveau de Lovecraft auprès des lecteurs se trouve peut-être justement dans ce genre d'initiative isolée mais réjouissante.

Interview

Par KADATH

KADATH - Quels chemins t'ont mené vers la bande dessinée ? Etudes aux beaux-arts ? Participation à des revues ?

Florent Calvez - On ne devient pas auteur de BD par hasard, c'est d'abord une vocation (avant de devenir un sacerdoce, mais passons ;-D) ! Et en général, ça vient de loin, très loin. Après les chemins, le travail, la chance permettent ou non d'y arriver. Personnellement, j'ai passé mes années lycée à dessiner plutôt qu'à réviser. Après le bac, j'ai passé quelques temps en fac d'arts plastiques, suffisamment pour comprendre que ce genre d'études n'était pas pour moi. Aussi la réalité s'est brusquement rappelé à moi et je me suis dégotté des boulots sans aucun rapport avec le dessin. Jusqu'à mes presque 30 ans où je me suis dit qu'il serait dommage de vivre dans le regret et qu'il fallait tenter le coup. J'ai retrouvé Rotomago, un ami d'enfance, le scénariste de U-29, et on s'est lancé, comme ça.

K - Florent Calvez c'est U-29 et Reanimator, deux albums que tout lovecraftien amateur de BD connait par coeur ! Pourquoi avoir choisi la nouvelle Herbert West, réanimateur et surtout Le temple (U-29), nouvelle moins connue que les “grands textes” de HPL ?

FC - Commençons par le commencement : U-29. Adolescent, j'avais gloutonné du Lovecraft et j'étais, il faut bien le dire un peu écoeuré, surtout à cause des nouvelles des “thuriféraires” du Mythe. J'ai acheté le tome qui me manquait de l’intégrale Bouquins assez tard, et c'est ainsi que j'ai lu Le temple quinze jours avant que Rotomago ne me propose de travailler dessus. Pour lui, c'était une histoire qu'il connaissait depuis longtemps et qu'il affectionnait particulièrement. Pour Reanimator c'est différent, surtout parce que je suis seul aux commandes. J'ai vu le film avant de lire la nouvelle, et comme pour beaucoup d'adolescents je me suis assez largement esclaffé devant l'humour qui le traverse. C'est ce bon souvenir qui m'a poussé vers la nouvelle où j'ai trouvé un contenu fort différent : sérieux, ambigu, référentiel… Et très intéressant pour une adaptation BD : des décors variés et une escalade très progressive. Quand je me suis lancé dans le projet, je dessinais une planche par jour que je publiais sur mon site Internet c'est dans cette logique que j'ai cherché le style graphique, un style qui me permette de produire et qui convienne parfaitement au récit. Je voulais quelque chose qui permette une ambiance nerveuse, sale et qui me permette de sentir l'histoire que je raconte, un peu en direct. (En général, on met un an pour dessiner 50 pages…) L'expérience du site Internet a tourné court : mon éditeur m'a proposé de le publier, alors…

K - Quelles sont tes références dans le domaine du neuvième art, c'est-à-dire tes dessinateurs préférés ?

FC - J'ai biberonné à Tintin et Astérix, puis quand mes goûts se sont forgés, ils ont “traversé l'Atlantique”. Mes références sont plutôt des auteurs anglo-saxons : Sienkiewicz, Miller, Caniff, Kirby, Romita, Jr, Alan Moore, McMahon, Bisley, Bolland, Wagner, Mills, Williams… J'ai aussi énormément de respect et d'admiration pour Moebius, Breccia, Pratt, Tardi, Blutch. J'en oublie plein et surtout des plus récents… Ah ! Un p'tit nouveau qui m'a scotché dernièrement : Benjamin Flao.

K - As-tu dans tes projets une adaptation d'une nouvelle de HPL?

FC - Oui… J'avais tenté un projet avec Randolph Carter, un projet didactique qui revisite les grands textes par le biais de simili-enquêtes dans le réel et une longue quête dans le monde du rêve. Le but était de former de nouveaux “adeptes” lovecraftiens. Mais ça n'intéresse pas grand monde. Tant pis ! J'aimerais adapter Les montagnes hallucinées mais là encore c'est éditorialement “compliqué” et de toute façon pas pour tout de suite… Mais j'ai espoir dans l'avenir, ce qui est pour un lecteur de Lovecraft assez curieux…