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Métal Hurlant HS 1 : spécial Lovecraft

Par KADATH

La revue Métal Hurlant

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C’est en 1978 que naît le concept de numéros spéciaux qui autour de thématiques particulières traiteront d’un auteur, d’un sujet ou d’un style artistique. Le N° 33 bis “spécial Lovecraft” de la revue est le premier hors-série qui sera suivi d’un grand nombre de numéros spéciaux, dont le “spécial fin du monde” dont on peut dire qu'il marquera une génération de lecteurs qui garderont tous à l'esprit la couverture d'Aslan représentant un crâne humain constituant la partie inférieur du globe terrestre ! Dans les années suivantes, Métal Hurlant publiera des hors-série “spécial humour”, “spécial Rock”, “Guerre”, “Alien”…

Si ces numéros spéciaux s’enchaînent au fil des ans, la qualité reste inégale et certains cahiers donnèrent l’impression de nettes hésitations de la part du comité de lecture de la revue, qui faute d’inspiration abandonna ce concept en 1984. A noter en 1982 un numéro spécial consacré à R.E. Howard et son personnage le plus connu, Conan le barbare.

Le numéro spécial Lovecraft

En septembre 1978, Jean-Pierre Dionnet et Philippe Manoeuvre sont les responsables de ce hors-série consacré à HPL. Pour un premier numéro spécial, Métal Hurlant ne regarde pas à la dépense : superbe couverture de H.R. Giger - le créateur du monstre pour le film Alien de Ridlet Scott - les dessinateurs les plus célèbres du moment, des journalistes et biographes de HPL, le tout présenté dans un cahier de cent-cinquante pages : un magnifique travail rarement égalé !

Dès les deux premières pages Souchu nous offre un très beau dessin d’un cimetière sous la lune qui annonce la bande dessinée de Voss - six planches en noir et blanc - La chose, adaptation de la première partie de Démons et merveilles : Le témoignage de Randolf Carter. Le style de Voss est proche de la caricature des dessins fantastiques avec des monstres dignes du train fantôme et des personnages aux traits surchargés. L’essai atteint cependant son but, inquiéter et appréhender l’attention du lecteur.

Après une courte présentation par François Truchaud des Lettres d’Arkham éditée cette année-là par la maison Christian Bourgois, Richard Martens pond un Retour de Cthulhu du plus haut comique ! Jacques Goimard - journaliste, écrivain, collaborateur à la revue Fiction - plus sérieux, analyse le style Lovecraft. Vient ensuite Le monstre sur le seuil d’Alberto Breccia déjà présenté sur ce site dans le cadre de l’album Cthulhu publié en 1979 par les Humanoïdes Associés : un chef d’oeuvre d’adaptation d’une nouvelle de Lovecraft ! Serge Clerc signe un excellent pastiche avec L’homme de Black Hole entre deux nouveaux articles de François Truchaud consacré à la bibliographie de HPL.

Daniel Ceppi1) suit La trace écarlate, hommage à somme toute fort peu lovecraftien, mais à l’ambiance délicieusement macabre ! Après une Excursion nocturne de Frank Margerin et un hommage aux chats chez HPL par Nicole Claveloux, Philippe Setbon rédige une nouvelle “à la façon de Lovecraft” qui a fait mourir de rire les habitués du Maître - en espérant qu’ils aient un peu le sens de l’humour…

Une courte histoire dessinée par Ceppi Amitiés, rencontres plonge le lecteur dans un univers sordide d’un quotidien digne du roman noir. Caro présente un étrange roman-photo sous le titre de Barzaï le sage superbement réalisé tout en images aux éclairages inquiétants : des pages qu’on n’oublie pas !

De la couleur et des grands noms

Enfin un peu de couleurs dans ce numéro spécial grâce à Chaland et Cornillon et à la bande dessinée Le chef d’oeuvre de Dewsbury dont la première partie est vraiment réussie - très beaux effets d’éclairage sur les visages du héros.

M. Perron illustre de fort jolie façon A la recherche de Kadath en dessinant une carte géographique des lieux mythiques : le plateau de Leng, la porte que garde Urm-at-Tawil, la rivière Skaï, Dylath-Leen, la vallée de Pnoth… George Kuchar illustre la vie de Lovecraft de façon très critique, ce qui risque de faire grincer les dents des aficionados du Maître ! Après trois planches en noir et blanc par Dank sur le thème des monstres apparaît le passage le plus génial de ce numéro, à savoir le mythique Necronomicon de Philippe Druillet. En une douzaine de planches en noir et blanc, le créateur de Lone Sloane offre au neuvième art l’une des plus inventives adaptations de l’oeuvre de HPL. Aux dires de Druillet lui-même, ces dessins ont été exploités dans le monde entier et on les retrouve partout et parfois même sans le nom de Druillet !

Les trois maisons de Seth présentent sous la signature d’un certain D. He une version égyptienne du mythe de Cthulhu. On notera la qualité de ces dessins ornés de hiéroglyphes superbement réalisés ; dommage que cette bande dessinée ne compte que trois planches. Yves Chaland nous revient le temps de deux courtes planches pour céder la place au Maître Jean-Michel Nicollet dont on apprécie d’autant mieux sa contribution HPL qu’elle offre de belles couleurs aux éclairages crépusculaires : un pur bonheur ! On ne quitte pas les grands noms de la bande dessinée avec le Ktulu de Moebius dont l’ironie n’a d’égale que le sens du fantastique : l’auteur met en scène le président de la république de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing ! Son “Cthulhu” qui termine cette bande dessinée est certainement l’une des plus originales créations sur ce thème.

Déjà auteurs d’une histoire dans ce numéro spécial, Vepy et Daniel Ceppi récidivent avec un curieux Plat du jour toujours dans le genre sordide et indigeste ! Luc Cornillon revient lui aussi le temps de deux planches en noir et blanc avec une tentative de suicide qui se termine par l’intervention d’une créature des profondeurs.

Le Cauchemar de Nino est l’une des plus importantes contributions dessinées du numéro puisque l’histoire compte une dizaine de planches en noir et blanc d’excellente facture. On notera que les créatures monstrueuses sont particulièrement suggestives. Avec l’article de Jean-Pierre Bouyxou consacré aux adaptations cinéma de Lovecraft, on constate que l’empreinte de HPL sur le septième art était encore très limitée à l’époque. Ce numéro se termine par L’abomination de Dunwich tirée du même album Cthulhu de Breccia déjà cité plus haut et constitue un excellent point d’orgue à cette série d’hommages à Lovecraft.

Conclusion

Devenu une référence en la matière, ce numéro spécial de Métal Hurlant est indispensable à tout amateur de bande dessinée passionné par Lovecraft. Jamais réédité, on le trouve encore de temps en temps sur les sites spécialisés en livres rares.